L’argent de Dieu

Avant-propos

Satguru Sivaya Subramuniyaswami

Un être humain sur six est hindou--650 millions d'âmes. Et il existe des millions de non hindous qui, ayant été hindous dans des vies antérieures, se trouvent aujourd'hui puissament attirés par les préceptes et pratiques de leur ancienne foi. Nous devons savoir qu'un nombre immense d'âmes intérieurement--ou extérieurement--hindoues peuplent aujourd'hui notre planète, une proportion de l'humanité plus grande que jamais auparavant. Et chacune de ces âmes se trouve sur le grand Chemin Eternel, le Sanatana-dharma, plus ou moins avancée vers l'objectif, occupant un point particulier de ce chemin qui n'appartient qu'à elle seule, et qu'ésoteriquement elle représente. Et l'hindouisme, de par sa profondeur et sa largeur incomparables, est totalement capable de donner force, énergie, courage, et perception à chacune de ces âmes, où qu'elle se trouve sur le chemin, et quels que soient ses besoins particuliers. L'hindouisme a toutes les ressources nécessaires pour effectuer ce perpétuel miracle: les dieux, les temples sanctifiés, la connaissance ésoterique à propos des profonds états de la conscience, du yoga, et des disciplines contemplatives. Elle connaît mieux qu'aucune autre philosophie au monde la compassion et la tolérance, car elles font partie intégrante de son système de pensée. Elle sait apprécier et respecter toutes les religions du monde. Elle sait et enseigne que ce monde est essentiellement bon et juste, car toute âme y est guidée par son karma, et que toute âme sans exception parviendra enfin aux objectifs ultimes, à la réalisation du Soi d'abord, et à moksha ensuite, la délivrance du besoin de renaître dans la chair. La foi hindoue demeure éternellement paisible, car elle sait l'origine divine de l'âme et son histoire qui la mène inévitablement, par les vies successives, vers sa glorieuse destinée. Elle sait offrir refuge et réconfort à tous ses pèlerins, qu'il s'agisse d'un rishi accompli, d'un simple dévot, ou même d'un non-croyant. Elle possède la plus vaste bibliothèque d'écritures saintes, dont les plus anciennes. Elle jouit d'une tradition qui a été nourrie par un nombre incalculables de sages, de rishis et yogis, de saints hommes et femmes. Aucune autre tradition terreste ne possède une telle richesse historique ou humaine. Peut-on conclure autrement qu'en proclamant franchement que l'hindouisme est la plus grande de toutes les religions du monde?

Elle continuera à l'être, c'est certain. Les profondeurs insondables de ses connaissances mystiques l'y obligent. Et c'est toute la gamme de ces connaissances qui se joue éternellement, car il y a à tout moment des âmes tout le long de ce Chemin Eternel, le Sanantana-dharma, qui ont recours chacune à l'une ou l'autre de ses innombrables processus, pratiques et lois ésoteriques qui font l'étoffe de cette vaste religion. Cet aspect de sa grandeur ne peut jamais être touché, amoindri. Sous un autre aspect, cependant, la religion hindoue pourrait quand-même se rapetisser--non pas par une transformation de sa nature--mais par diminution de son influence, de sa capacité à atteindre toutes les âmes hindoues et les recouvrir de son ombre salutaire, comme un banian dont on aurait coupé trop de branches. Eh bien, cette reduction de puissance s'installe dans notre religion dès que nos ressources individuelles-- notre argent, temps et talent--ne servent plus qu'à nous bénéficier nous-mêmes.

On voit déjà les signes de cette insuffisance dans les cas des hindous hors-castes qui se sont fait convertir en masse à l'islam, dans celui des hindous professionels qui se convertissent au christianisme dans de nombreux pays. On voit ce signe d'insuffisance dans la penurie d'écoles hindoues tout partout au monde, dans le fait qu'une étonnante proportion de nos coreligionnaires sont absolument illettrés quant aux enseignements essentiels de notre foi. Et on le voit surtout dans le fait que cette érosion de l'hindouisme n'évoque, presque partout, qu'apathie et résignation.

Ce n'est pas, répétons-le, que l'hindouisme manque de ressources. C'est que celles-ci sont enfermées à clé, et donc inutilisées. Même ceux qui se disent pieux considèrent le plus souvent qu'il y a deux aspects independants et autonomes a leur existence: la vie personnelle d'un cote, et la vie religieuse de l'autre. Mais c'est une erreur de penser ainsi, surtout pour l'Hindou. Car l'hindouisme, plus que toute autre foi, gravite toute entière autour de Dieu. Notre dharma, notre façon de penser et vivre, ne sont que l'expression des liens et rapports réels qui existent entre nous et le divin, et qui grandissent et se developpent progressivement jusqu'à ce que nous vivions enfin l'expérience d'identification totale avec Dieu en son aspect absolu. Donc, l'Hindou ne peut pas logiquement tracer une ligne de démarcation entre lui, sa famille, sa carrière, ses biens matériels, et sa position sociale d'un côté, et sa vie religieuse d'un autre.

Puisque notre religion est «théocentriste»--puisque nous concevons que tout est lila , ou danse divine, que notre évolution consiste à nous mener progressivement à éprouver cette vérité directement et dramatiquement, puisque nous sommes convaincus que cette même evolution aboutit enfin à l'identification totale à Cela, ou à Celui, qui est l'essence et le substrat de toute cette existence apparente--comment donc pouvons-nous ignorer que tout est Dieu, et que tout lui appartient?

En fait, nous le croyons déjà, nous le savons: il n'y a pas de division réelle entre son domaine et le nôtre.

Tout l'argent du monde appartient à lui, ainsi que tout le temps et tout le talent du monde. Toutes nos ressources de vie font en fait partie d'une dotation établie en vue de faire vivre et prospérer l'hindouisme aujourd'hui et dans l'avenir. Et ce sont, parmi elles, nos ressources humaines qui sont les plus efficaces pour avancer le Sanatana-dharma. Tout le temps, et tous les talents sont le temps et les talents de Dieu. C'est de Dieu que provient l'inspiration qui nous meut à donner de nous-même pour faire fonctionner le véhicule religieux, l'hindouisme, qu'il a conçut, ébauché et développé lui-même au profit de l'homme et de son divin et profond progrès spirituel.

Nous en arrivons donc à la raison d'être de ce livre: nous aider à concevoir clairement que nous avons la capacité d'exploiter et de diriger avec intelligence nos ressources individuelles et collectives pour qu'elles soient utilisées pour accomplir l'oeuvre de Dieu, maintenir ses institutions, et perpétuer sa présence parmi nous. Mettre en pratique l'Argent de Dieu , c'est fournir ce qui soutiendra notre spiritualité personnelle en même temps que l'hindouisme lui-même.

L'hindouisme dépend entièrement de la solidité de ses trois piliers: le temple, la philosophie, et le guru. Le temple hindou, au cours des dernières dix années, s'est répandu tout autour du globe. Il en a été de même pour les sociétés, institutions, ashrams, et monastères hindous qui se sont multipliés d'année en année, et continuent à le faire. Pourquoi ce phenomène? Parce que les gurus, et les grihasthas enclins à la spiritualité, se rendent compte de deux choses: d'un côté, combien nous avons besoin d'instruction et d'inspiration pour arriver à transmettre notre religon d'une génération à l'autre, et de l'autre, combien notre religion est vulnérable aux invasions des fois étrangères dont le matérialisme. Nous vivons aujourd'hui aux frontières d'une époque nouvelle où commencent à s'incarner en nombres considerables des âmes spirituellement très avancées. Ces âmes naissent souvent dans des familles non hindoues. Mais elles avaient récemment vécu des vies hindoues, et maintenant, eparpillées à travers le monde, elles ressentent une grande sympathie envers tout ce qui leur rappelle leur ancienne et profonde religion, surtout en ce qui concerne la façon de penser hindoue, sa façon de vivre, et surtout encore ses connaissances mystiques.

Si l'on compte la totalité des institutions établies en Inde aux cours des siècles, et qu'on y ajoute les innombrables nouvelles institutions fondées autour du monde par les émigrés indiens des derniers temps, on pourra bien être étonné par l'ampleur de ce réseau, par la solidité de cette infrastructure. Mais, ce réseau d'institutions hindoues, ces temples, philosophies et gurus, tout comme le réseau routier d'un pays dévoloppé en technologie, tout impressionant qu'il soit, il exige une attention constante. Il faut sans cesse l'entretenir, le réparer, l'améliorer, le moderniser.

Contemplons ensemble comment nous pouvons, en tant que gardiens et créateurs de «l'argent de Dieu», contribuer à solidifier les trois piliers de l'hindouisme. Voyons clairement comment, en nous engageant à donner de notre argent, de notre temps, et de nos talents par la pratique de dasamamsha, nous redoublons la vigueur spirituelle de nous-même d'abord, et celle de l'hindouisme ensuite.

L'image divine du temple hindou fonctionne en tant que «passage», ou «canal», ou «milieu spiritualisé» par lequel, ou dans lequel, Dieu et les dieux peuvent se manifester dans leur forme subtile et étherique par laquelle il atteignent le dévot et lui envoient la puissance shakti qui transforme sa vie en ajustant ses courants d'énergies nerveuses. Ainsi, ceux qui assistent au temple se transforment peu à peu, processus avant tout intérieur, dont les effets externes se manifesteront après quelque temps. C'est d'abord sa force vitale qui subit un changement de caractère subtil, puis ses pensées, et enfin ses émotions. Les temples hindous sont étonnant de par leur architecture parfois immense, et par leur capacité à rapprocher les trois mondes--le physique, l'astral (ou mental), et le causal (ou spirituel)--jusqu'à ce que la communication entre eux devienne possible.

Le temple ne gravite pas autour d'un prêtre ou ecclésiastique quelconque, bien que souvent il y ait une personne sainte associée au temple auprès de qui on cherche conseil, réconfort ou direction. Mais il n'y a pas de sermons, d'intermédiaires, ou de chefs qui dirigent les dévotions. Le temple est la demeure des dieux, et chacun y vient au moment qui lui est propice, offre ses dévotions selon son inclination personnelle et son besoin du moment. Une certaine personne ira y verser des larmes et chercher le réconfort, tandis qu'un autre à côté de lui sera en train de chanter sa joie et sa reconnaissance. Certains autres sont venus pour recevoir quelque sacrement tels que la cérémonie du nom, ou le mariage. Il suffit de visiter un temple pendant un jour de fête pour y ressentir toute la vitalité et l'abondante énergie de cette antique religion.

Par son deuxième pilier, sa philosophie, l'hindouisme a exercé un profonde influence sur tous les grands penseurs religieux depuis la préhistoire. Il n'y a d'ailleurs pas d'unique philosophie hindoue. L'hindouisme se compose plutôt de tout un réseau de philosophies, dont certaines semblent carrément contredire les autres. Mais si l'on y observe plus profondément, on verra qu'elles sont toutes autant de reflets à la surface d'un fleuve mental qui, lui, est bien unique. Dans sa vaste philosophie, on trouvera une collection pratiquement infinie d'écritures saintes, de cantiques, de mantras, de chants de dévotion, et de textes philosophiques. Le monde ne connaît pas un plus riche trésor de ressources spirituelles.

Dans l'ordre naturel des choses, le temple précède la philosophie. C'est-à-dire que dans cette demeure divine, la communication entre les trois mondes est possible et facile, les choses qui paraissaient être «intérieures» à nous et celles qui nous paraissaient «extérieures» se rencontrent et s'unissent. Par conséquent, le dévot qui vit ne serait-ce que quelques instants dans cette ambiance scintillante, se transforme graduellement, en ressemblant de plus en plus aux êtres parfaits et perfectionnés qu'il y fréquente. Il peut devenir la voix du dieu, ou son secrétaire, notant ce qu'on est en train de lui enseigner au profond de lui-même. Si l'oeuvre a su rester parfaitement fidèle au message superconscient, elle sera tôt ou tard traitée et reconnue comme écriture sainte, intégrée dans cet auguste héritage vivant: la philosophie hindoue.

La philosophie est la voix de notre religion. On la lit et relit dans les familles pieuses, on en discute dans les universités, on médite sur elle dans la solitude yogine. On peut lire la philosophie, et ne jamais mettre pied au temple; ou bien aller régulierement au temple sans jamais toucher à la philosophie--et être un bon hindou dans les deux cas.

L'autre pilier, le troisième, est le Satguru, l'Enseignant, l'Éclaireur, le Précepteur spirituel. Il est celui qui sait «dissiper les ténèbres», qui connaît la philosophie, le fonctionnement ésoterique du temple, et qui est lui-même le philosophe et le temple. Le Satguru a la puissance d'éveiller la spiritualité chez une autre personne. Il est independant comme le sont le temple et la philosophie, c'est-à-dire que le Satguru seul est suffisant à une vie religieuse complète. Et, comme le temple et la philosophie, il existe indépendamment des établissements d'érudition et des lieux de pèlerinage. Il est lui-même l'origine de la connaissance, et la destination du pèlerin. Si tous les temples venaient à être détruits, ils réapparaîtraient bientôt, régénérés par la philosophie ou par la superconscience éveillée du Satguru. Si toutes les écritures et philosophies venaient à être brûlées, cette même superconscience omnisciente saurait les réécrire. On ne peut pas détruire l'hindouisme. On ne le pourra jamais, car il est l'esprit religieux vivant en chaque être. Ses trois aspects--temple, philosophie, et Satguru--sont déjà immensément puissants quand ils sont pris séparement. Pris ensemble, ils font de l'hindouisme la plus abondante et la plus vigoureuse de toutes les religions du monde.

Cette incomparable grandeur de l'hindouisme qui se retrouve dans tous ses aspects provient d'une qualité fondamentale: qu'il est capable de réconcilier et même, selon le niveau d'évolution de l'individu, de réunir en un seul phénomène divin ce qui apparaissait d'abord comme une dualité: Dieu et l'homme, la réalité et l'apparence, les états d'esprit dits instinctif, intellectuel, et superconscient. Qu'est-ce qui cause ces différences apparentes, et apparemment fondamentales à l'existence? C'est que chacun voit les choses selon le karma qu'il a lui-même créé, et qui le mène vers son unique résolution lumineuse. L'âme qui en est encore aux premiers stades de l'évolution, dont les moteurs sont essentiellement instinctifs, qui n'a développé que peu d'intellect, et qui est guidée dans les expériences de la vie par ses seules émotions, elle vit essentiellement dans la crainte. S'il elle éprouve le Divin au temple, son rapport avec lui sera celui de la crainte, celui de l'esclave vis-à-vis de son maître. Elle craint Dieu. A côté de cette âme, assistant au même puja, se trouvera peut-être un grand rishi qui en est à sa deux/trois/quatrecentième vie sur cette Terre. Il éprouve, lui aussi, son expérience personnelle de Dieu, mais dans son cas c'est une expérience de béatitude, d'amour, et d'union mystique. L'expérience est aussi réelle pour l'un que pour l'autre. Il n'existe personne pour arbitrer, intercéder, déclarer laquelle des deux expériences est la meilleure, ou de forcer l'un à concevoir Dieu de la même façon que l'autre.

L'hindouisme est aussi riche en sa diversité que l'humanité. Il fonctionne aussi bien pour le riche que pour le pauvre, pour le mystique que pour le matérialiste, pour le sage que pour le sot. Personne n'est exclus. On peut, dans un temple, retrouver toute la variété humaine. Le riche est là, à donner son appui aux institutions qui se sont manifestées autour du temple, à chercher à dépenser de son abondance avec sagesse, produire le plus grand bien possible, pensant en récolter le merite dans sa prochaines vie. Le pauvre est là aussi, espérant que Dieu inspirera l'un de ses dévots à lui donner de quoi manger ce soir. Le temple reflète la vie de la communauté, ne cherche pas à la réformer ou lui être supérieur. Il ne cherche qu'à la servir et l'aider vers le prochain stade de son évolution.

Ce même esprit hindou qui sait embrasser à la fois toutes les religions du monde, sait aussi embrasser, quelles que soient leurs origines, tous les humains qui se sentent attirés au temple par sa shakti, son champ d'énergie, son rayon de puissance éthérique. Telle est la largeur d'esprit, la profondeur et l'universalité de la compassion de l'hindouisme. Nous ne parlons pas ici simplement d'une qualité, qu'il aurait acquise et développée. Nous parlons de sa nature essentielle et inhérente--qui découle tout naturellement de sa philosophie. Telle est la grandeur de l'hindouisme. Grandeur qui vraiment ne peut se comparer à aucune autre religion, car il n'y a pas de base commune pour permettre la comparaison. La religion hindoue n'a pas de date de naissance, pas de commencement, donc elle ne peut avoir de fin. Elle ne fut jamais créée, donc elle ne peut être détruite. Le coeur de l'hindouisme, c'est l'Absolu, Dieu au-delà du temps, de l'espace et de toute forme. Dieu qui se manifeste en Conscience pure et en la forme la plus parfaite que conscience puisse concevoir, l'Ame primordiale. A partir de cette forme, il rayonne en tant qu'une multitude de dieux et déesses qui résident dans les temples, déversent leurs bénédictions sur les dévots, inspirent les écritures saintes, transmettent la puissance aux chefs spirituels, et édifient en general toute l'humanité. Oui, vraiment! On peut bien conclure que l'hinduisme est la plus grande religion du monde.

Vijaya-dasami 1987
Kauaï-âdhînam